Illustrations d'Heni MONTASSIER

Pages Folles

Texte et dessins d'Henri Montassier - Pages Folles du 27 juillet 1913

                                                                                                                  Sens, le 16 juin 1812.

                              Mon cher de Sixte,

     C’est en fait.  J’ai quitté Paris lundi matin par le coche de huit heures et c’est de Sens que je t’envoie ce premier courrier. Tu vois je suis fidèle à la parole  donnée, quoi qu’en puisse penser ma délicieuse Lolette qui pour le présent, j’aime à l’imaginer, est plongée dans le plus affreux désespoir. Tu sais, Pylade, à quoi t’oblige l’amitié. Va porter à cette belle les consolantes paroles de la raison ; prends sa main qu’elle a fine, monte un peu plus haut, découvre un bras potelé, attire cette tête charmante sur ton jabot, et si ce n’est déjà fait de longue date, bois d’un tendre baiser des pleurs qui  risqueraient de rougir, en ne tarissant pas, les plus beaux yeux du monde : que Mlle Arlette de Champigny me pardonne, elle que je ne connais  point encore et qui sera ma femme s’il plaît au ciel, et si la complicité d’un père prévoyant et  de ma tante de Vinneuf porte ses fruits. C’est demain que j’affronterai les charmes de cette jeune personne. Les épreuves dureront environ un mois à la Commanderie de Vinneuf que je me représente comme le séjour maussade d’une vieille dame dévote et d’une petite oie blanche habile à la tapisserie.

     Où sont, mon cher, où sont nos soupers chez la Marion, nos parties de lansquenet du 113, et Lucette, et Camille, et Sophie, et Lolette ?

     J’arriverai en calèche de louage sans mon bagage, car je le laisse provisoirement à l’auberge, Sens n’étant qu’à 5 petites lieues de Vinneuf, et la tour d’Argent offrant pour un temps au dépaysé que je suis quelque consolation… Ce n’est rien, mais c’est assez pour me faire oublier un peu que je deviens un homme sérieux sur le point de traiter un mariage considérable.

     Sache donc qu’au départ, dans la cour des Messageries, mon attention se porta sur un couple assez mal assorti pour me donner à réfléchir. De l’homme, rien à dire, gros et court, un ballot. Si bien que je m’étonnais que les gens ne l’eussent point déjà crocheté pour l’ajouter aux colis déjà sur le faîte. Mais elle…

Ah ! mon cher ! Elle !... D’un regard j’eus détaillé les yeux ardents et rieurs, la bouche en fleur, la gorge haute, les reins souples, et en une seconde je résolus de voisiner avec elle durant la route. Par une fatalité, je voyais le gros époux s’agiter en brandissant les cartons verts de deux places d’intérieur tandis que j’avais retenu la mienne dans le coupé. Promptement, j’allai au bureau, j’échangeai mon billet rose contre un autre de la couleur de l’Espérance et j’eus la joie au départ d’être placé entre mon inconnue et le capitonnage…

     A Maisons Alfort mon genou rencontra le genou de ma voisine. Ni les cahots, ni les ornières ne réussirent désormais à rompre cet aimable contact.

A Brunoy, mon pied s’insinua sous le sien de façon à épouser exactement la rondeur du mollet. A Melun, ma main droite prit position entre le dossier de la banquette et le … céans de l’adversaire.

     A Fossard un choc plus violent que les autres me jeta contre une épaule ronde et j’effleurai d’une bouche furtive une nuque dorée comme le miel…

Enfin, à la côte de la Colonne, ainsi nommée parce qu’à son sommet s’érige le monolithe rose qui marque la rencontre de feu le Roy Louis le Bien-aimé avec Marie Leczinska, à la côte de la Colonne donc, et je ne pouvais souhaiter symbole plus encourageant, tout le monde descendit, ce qui me permit d’apprécier, découverte un peu haut, la jambe la mieux tournée terminée par le pied le plus petit, le plus insolent, le plus fripon qui foulât jamais la route de Lyon. Bref, nous parvînmes à Sens dans la nuit après un voyage qui me sembla court à travers une région que l’on dit plate, mais que je m’entête à considérer comme très mamelonnée et délicieusement accidentée.

     Le hasard, Dieu des amants, voulut encore que la même auberge abritât le couple mal assorti et ton serviteur. Il voulut de plus que dans le brouhaha d’une arrivée de messagerie, dans le va et vient des corridors, brusquement, entre deux portes, la belle inconnue et ton serviteur déjà nommé, se trouvassent nez à nez ; une étreinte brusque, un baiser donné et rendu à lèvres silencieuses mais pleines de bonne volonté, et je me retrouvai cinq minutes plus tard, l’âme incendiée et la tête à l’envers, assis sur une malle dans mon appartement.

     Peut-être y serais-je encore si une fille de l’auberge n’était venue m’offrir ses services. Ses services ? Ah pardieu ! Oui de grand cœur la belle… C’était une Bourguignonne un peu rouge aux puissants appâts, gaillarde et plantant son regard avec une belle hardiesse dans le regard trouble du voyageur énervé que j’étais…

    Que te dirai-je ? L’attaque fut si prompte que le pot d’eau chaude qu’elle m’apportait lui quitta des mains. Elle eut un petit cri, vite transformé en un rire de la gorge qui me brûlait le sang, puis en soupirs… D’une main elle se cramponnait aux rideaux… et je n’avais qu’une crainte, comme le fier Gaulois de l’Histoire, c’est que le ciel de lit ne me tombât sur la tête.

     Que faire des nuits dans ce trou ? Cette fraîche enfant m’a juré en rajustant sa coiffure de venir m’aider à en rompre la monotonie provinciale. Pour les matinées, je les consacre à mon inconnue du voyage. Quant aux après-midis, ils sont, par les convenances familiales et sociales, réservés à ma tante de Vinneuf et sa candide filleule.

     Ayant ainsi disposé de mes batteries, mon plan tracé, ne laissant nulle brèche par où puisse s’insinuer l’horrible ennui qui rôde aux rues herbeuses des petites villes, permets, ami que je goûte, comme je ne sais plus quel général à la veille de quelle victoire le faisait sur un affût de canon, un repos bien mérité, mais dans mon lit.

     Je t’embrasse de tout mon cœur

André de Courlon.

Pour copie : Henri Montassier

(à suivre)

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